d'Anton Tchekhov
Synopsis
Cette œuvre a pour héros un instituteur, vivant dans une petite bourgade du sud de la Russie, au siècle dernier, ami d'une jeune et riche veuve dont la propriété sera bientôt vendue pour éponger les dettes de son mari défunt. Ce jeune homme, promis à un brillant avenir, n'a pas réalisé les ambitions que lui-même et les autres lui prêtaient. Cet anti-héros, comme nous le définirions aujourd'hui, bavarde, plaisante, se soûle, provoque des scandales, courtise des femmes, est courtisé par elles, trompe son épouse, éprouve des remords, s'interroge sur le sens de sa vie.
Platonov parle de la jeunesse. Elle ne parle pas de ses illusions et de ses idéaux mais déjà de sa déconfiture. Tous sont vieux avant l’âge. Les corps sont souples mais les passions déjà menacées. De là sans doute, la crainte de l’assèchement et la panique de l’ennui. De cette dichotomie naît un humour acide. Ce gâchis devient drôle...
Note de mise scène
Je voudrais rendre les personnages de Tchekhov aussi colorés qu’il les a dépeint. Tendre la pièce vers une force joyeuse et créatrice. Je souhaite un engagement total des acteurs. Bannir toute virtuosité, savoir faire et discussion. Cela exige une humilité, une implacabilité, une exigence et une rigueur essentielles autant qu’un humour et une grande vitalité. L’audace de s’amuser avec la gravité, la légèreté de torturer l’âme humaine. La direction d’acteurs sera indissociable de la mise en scène. Rendre le verbe poreux, c'est-à-dire faire du signe avec du sens et du sens avec du signe. Comme « écrire dans le sable », faire que chaque instant soit plein à l’infini et que chaque moment détienne l’éternité puis disparaissent. Il y a là pour moi, un écho direct avec le personnage de Platonov. Ses mots, ses pensées, ses actions s’effacent en même temps qu’il les prononce et ne servent à rien. Dans ce théâtre de la parole où il n’y a pas d’acte qui tienne, chaque mot est une montagne de mots qu’on ne sait pas formuler.
Mais Platonov est aussi une comédie qui donne envie de vivre mieux, sans mensonge, une fête des sens et de l’intelligence : « L’homme deviendra meilleur quand nous lui aurons donné la possibilité de se voir tel qu’il est ».
C’est parce que cette pièce est comme la vie, un brouillon de vie où il n’y a pas de sujet, où tout est mélangé, le profond et l’insignifiant, qu’à chaque instant j’aimerais que l’on passe du rire aux larmes.
Je vois une terrasse carrelée de tomettes, une fontaine, la forêt qui vient envahir l’espace imposant d’un intérieur bourgeois. Un bureau trop lourd, des costumes trop grands, une table, des bouteilles et le repas qui n’arrive pas. Je vois des lampions, une fête mêlée de silences, d’esclandres, de regards fuyants, des corps en déséquilibre. Je pense au Songe d’une nuit d’été. Je vois un train modèle réduit, le tableau noir d’une salle de classe. Des chaises vides. Les protagonistes comme collés au mur ne pouvant échapper à leur situation. Un second plan comme voyeur du premier. Des rendez-vous ratés. La cupidité des tranquilles. La chaleur écrasante et la propriété que l’on vend. J’imagine une grande soif de désir, d’amour, d’ivresse, de scandales. La fin d’une partie d’échecs. Un revolver posé devant la glace et cette mort absurde de Platonov, parce que nous ne savons pas vivre, puis le silence et ses derniers mots : « Que faire ? Enterrer les morts et réparer les vivants ». Voilà notre seule vérité, la mort.
L'auteur
Petit-fils de serf et fils d’un boutiquier en faillite, Anton Tchekhov (1860-1904) commence à écrire pour gagner de quoi finir ses études de médecine, et continue à le faire parce que ses « balivernes » lui rapportent plus que ses malades. Persuadé qu’il n’a rien à dire, il se tourne vers le théâtre, et laisse à ses personnages la charge d’assumer des propos qui ne sont pas les siens.
Tchekhov, qui puise sa dérision de son compagnonnage incessant avec la mort, est malade très tôt mais ne se plaint jamais.
Tchekhov est un créateur minutieux et laborieux, obsédé par une certaine qualification technique de l'écriture. Ses pièces sont des drames du quotidien, où l'affabulation est inexistante, les pauses nombreuses, où « la vie est laissée telle qu'elle est et les gens tels qu'ils sont, vrais et non boursouflés ». Ce sont des drames statiques, des coupes pratiquées dans l'épaisseur de la vie et qui mettent à nu les strates les plus profondes de l'âme humaine. À travers récits et pièces, Tchekhov peint la grande misère de la condition humaine avec pour seul but la vérité absolue et sincère. Il dit : « l'artiste doit être un témoin impartial », « le littérateur doit être aussi objectif que le chimiste ». Tchekhov montre mais ne dénonce jamais. Rien ni personne ne fait figure de porte-parole dans son œuvre. Loin de tout dogme, de toute chapelle, toute sa vie Tchekhov préférera la philanthropie individualisée au large mouvement d'indignation et d'action collective. Ne cessant de souligner au travers de son œuvre l'esprit petit-bourgeois, la trivialité, la corruption, l'ignorance crasse, la peur du supérieur, la déchéance dans les destins avortés, il gardera constamment foi en l'homme. Il croira toujours possible la « révolution de l'esprit », révolution individuelle, personnelle qui seule permet, grâce à la connaissance, au savoir, l'amélioration de la nature humaine, donc de la société.