de Fedor Dostoïevski
Le récit
Le récit se présente sous la forme du journal intime d'un narrateur amer, isolé, et anonyme. Cet ouvrage est devenu un livre à part dans la biographie du maître russe d'abord par sa taille (court, il est considéré comme une longue nouvelle) et par sa fonction de laboratoire condensant tous les grands thèmes de son œuvre (Crime et Châtiment, L'idiot, Les Frères Karamazov).
C'est l'histoire d'un homme reclus sur lui-même qui se réfugie dans un sous-sol pour ne plus se confronter au monde. Il désespère de la vanité des hommes autant que de la sienne incommensurable. Il conspue l'humanité qui ne cherche qu'avancement, confond le rang pour l'esprit, et ne croit qu'en une seule vérité : l'argent. Il se déteste autant qu'il déteste les autres et n'arrive pas à trouver l'amour, et quand il le trouve, le rejette immédiatement pour faire bien, par pur intellectualisme, pour faire comme dans les livres.
Cet homme nous renvoie à nous-mêmes, il nous parle de son sous terrain qu'est sa conscience accrue pour parler de l'humanité.
C'est le grand frère de Jean-Baptiste Clamence, le juge pénitent de La chute de Camus.
C'est le premier antihéros de la littérature moderne.
Acariâtre et méchant, intelligent, et ridicule, il arrive pourtant à nous séduire.
L'essentiel est là pour l'acteur que je suis : plaire en déplaisant, séduire en énervant.
C'est un régal de dire autant de saletés et de méchancetés avec tant d'intelligence.
Venez écouter les tourments de cet homme malade, venez le voir les exhiber, les cracher, pour en tirer le plus salvateur des plaisirs : la découverte ou la redécouverte de l'un des plus grands auteur de tous les temps.
Nicolas Oton
« Je suis un homme malade… Je suis un homme méchant. »
Par ces mots s'ouvre le monologue d'un narrateur sans nom qui porte les plaies de son siècle. Dostoïevski le laisse parler, le laisse déverser sa bile et sa haine sur ce 19ème siècle russe dans lequel les puissances ancestrales et religieuses sont grignotées au niveau des chevilles. Siècle qui voit émerger la puissance de la raison et des sciences. Et le narrateur de se lamenter. Que deviennent « le beau et le sublime » auxquels il est tant attaché ? Que devient le libre arbitre et la volonté si l'homme n'a plus qu'à se soumettre au pouvoir de la raison et des sciences ?
La morale, le bien et le mal, déchiquetés par l'homme rationnel.
Il ne faut pas se méprendre, Dostoïevski ne s'est pas lancé dans un essai sur la métaphysique de son temps.
Il y a plus, beaucoup plus dans le sous-sol ; un homme pris au piège dès son plus jeune âge d'une société qui le rejette, une société dont les moteurs se nomment honneurs, carrière et salaire. Sa lucidité qui porte à la folie, son auto-analyse sarcastique, son regard cynique constituent le mur inébranlable qui le sépare des autres, de l'Autre. Il gémit, hurle, menace d'agir mais il se trouve à chaque fois reconduit à ses ruminations. Toute tentative d'aller vers l'autre est un acte d'impuissance et de frustration.
Première partie - Le sous-sol
C'est le monologue d'un homme rempli de haine. Il a quarante ans, c'est un ancien fonctionnaire malade du foie depuis une vingtaine d'années. Il ne se soigne pas par méchanceté envers lui même; il avait démissionné et vit depuis grâce à un petit héritage. L'homme se complaît dans sa déchéance * « Il y a de la volupté dans le mal de dents ». Il revendique sa supériorité sur l'homme simple et spontané qu'il nomme l'« homme normal », pourtant il a essayé d'être comme eux, sans succès. Il place le fait de souffrir comme un signe de plaisir, voire une volupté.
Au fil des pages, sa colère monte contre les hommes normaux qui agissent. Lui a choisi de ne pas agir car il est plein de doutes, il a peur. Et d'avouer à la fin qu'il ne croit pas à ce qu'il vient de dire, qu'il a préparé tous ces discours car il n'avait rien d'autre à faire et qu'à nous ses lecteurs, il va faire une confidence, il va essayer de ne pas se mentir, nous mentir et de raconter un souvenir qu'on ne raconte à personne. Ce récit s'intitulera À propos de neige fondue.
Dans cette première partie, Dostoïevski engage, sur le mode de la dissertation, un monologue forcé de l'homme souterrain avec des partenaires imaginaires, qui, cela est pratique, ne répondent jamais. Le portrait psychologique du maniaco-dépressif prend cependant place, à travers les paradoxes et les renversements incessants de la pensée de l'auteur. L'homme du souterrain apparaît étrangement comme tout sauf inactif, changeant tout et bouleversant tout, mais c'est précisément parce que Dostoïevski en fait une démonstration magistrale, la tranquillité est le support préalable à toute action, que la frénésie de son inquiétude constitue pour l'homme de la cave une paralysie. Une paralysie dont il ne se défend pas, au contraire, « l'inertie contemplative étant préférable ».
Cette inactivité dans l'action tranche avec le foisonnement intérieur: conscience et imagination.
Dostoïevski ici livre une ouverture philosophique fondamentale: la vision de l'Homme dont la conscience ne constitue pas la grandeur mais un fléau. L'homme est d'autant plus malade qu'il est clairvoyant, il est d'autant plus clairvoyant qu'il regarde autour de lui et voit le Mal partout, il est d'autant plus fou puisque la présence de ce mal est une folie. Avant les célèbres enfants de Fiodor Pavlovich Karamazov, Dostoïevski, à travers la critique de l'idéalisme optimiste vouant l'homme au « bien-être », donne une critique vigoureuse de l'absurdité du Mal, ne pouvant être ni rationnel, ni théologique, puisque frappant l'innocence.
Deuxième partie - À propos de neige fondue
Le narrateur revient sur l'année de ses vingt-quatre ans : déjà seul, son travail et ses collègues ne lui amenaient aucune satisfaction. Une fois pourtant, il s'est abaissé à leur parler, mais cela n'a pas duré. Ses seuls loisirs sont la lecture et la débauche. Un soir, un officier l'ignore au lieu de se battre avec lui. Il veut se venger et peaufine un plan pendant des années. Pour finir, il heurte l'homme de son épaule en pleine rue; c'est à peine si l'autre s'en aperçoit, mais lui triomphe intérieurement.
Il s'est invité à un dîner où d'anciens camarades de lycée fêtent l'un des leurs, mais personne ne veut de lui car il n'a laissé que de mauvais souvenirs, se sentant tellement supérieur. Il emprunte de l'argent pour y aller, et se rend désagréable, provoque Ferfitchkine en duel, s'enfonce dans le ridicule. Il est agressif et mendie six roubles. Les autres le quittent pour finir la fête dans une maison close. Il les pourchasse, mais ils n'y sont plus. Il va donc avec une prostituée, Liza, et engage la conversation avec elle. Il lui décrit l'amour idéal et le compare à l'avenir atroce qu'elle a, avec toutes sortes de détails, preuve s'il en fallait qu'il connait bien ce milieu. Son discours la touche, la désespère et elle veut le revoir.
Trois jours plus tard, Liza arrive chez lui, alors qu'il est en train de se quereller avec son domestique. Il est hors de lui. Elle vient chercher des paroles d'encouragement, mais il la rabaisse.
Elle pardonne, mais le quitte sans un mot. Il finira seul.