Dom Juan désossé

d'après Molière

Synopsis

Don Juan, « l’épouseur du genre humain », a enlevé Elvire de son couvent, l’a séduite et abandonnée. Elle le poursuit en vain tandis qu’il part déjà vers une nouvelle conquête, accompagné de son valet Sganarelle. Une tempête le jette sur une plage où il promet d’épouser deux paysannes. Poursuivi par les frères d’Elvire, il doit fuir encore. Perdu dans une forêt, il va inciter un pauvre ermite au blasphème, sauver un des frères d’Elvire des bandits, et inviter à dîner la statue d’un commandeur qu’il a tué naguère. Rentré chez lui, il se débarrasse de son principal créancier, refuse insolemment les remontrances de son père, tente de séduire à nouveau Elvire venue le prier de bien vouloir se repentir sous peine de craindre les foudres du ciel. À sa grande surprise, la statue vient dîner et le convie en retour. Dom Juan annonce à son père que, touché par la grâce, il a décidé de changer de vie et de travailler « à obtenir du Ciel une pleine rémission de ses crimes ». Dom Louis le quitte, éperdu de bonheur. Bonheur partagé par le naïf Sganarelle, que Dom Juan s'empresse de détromper, en faisant un long et vibrant éloge de l'hypocrisie. Un « spectre en femme voilée » l'engage pour la dernière fois à se repentir. Il répond en sortant l'épée. Apparaît la statue du Commandeur, qui, incriminant son « endurcissement au péché », lui tend la main et le précipite dans les flammes de l'enfer. Resté seul, Sganarelle pleure la perte de ses gages.

Note de mise scène

Depuis quelques années je tourne autour de la pièce de Molière, Dom Juan.
À chaque relecture, elle m’ouvre des pistes nouvelles, des résonnances inattendues, et mon étonnement devant l’agencement des mots et la structure de la pensée de Molière reste intact.
Le mythe « Dom Juan » est gigantesque. Anarchiste, faussaire humaniste, cynique satisfait, enragé de liberté, fils dégénéré, hypocrite sans concession, jouisseur... Torche dans l’obscurité...
Aujourd’hui encore, que nous dit-il de nous ? Qu’est-il devenu ?
Ce qui me frappe, c’est la sincérité profonde qui se dégage de cette œuvre.
Comme un poème philosophique, où le naturalisme côtoie le baroque ; le burlesque le drame ; la comédie populaire la tragédie.
Un valet dans l’obligation d’être fidèle à son maître.
Une relation d’interdépendance entre deux clowns métaphysiques.
Un mouvement répétitif de l’obsession de Dom Juan.
Une course poursuite contre lui-même, dans cet espace où il semble à l’étroit et où chacun vient régler ses comptes.
Dans sa quête insatiable de vérité, Dom Juan m’apparaît comme l’indigné, révolté contre l’absurdité des modèles établis.
Un provocateur qui rit de tout. Qui se moque de tout. Qui défie.

Deux acteurs pour jouer tous les personnages

Ici, le duo Sganarelle-Dom Juan nous raconte l’histoire. Sganarelle joue tous les personnages pour son maître, pour son partenaire, pour qu’avance l’histoire...
J’aime l’idée du duo, la paire, le double, le miroir...
Un duo musical sans perruques ni chandeliers.
Un hommage au théâtre et à l’art de l’acteur.

Cinquante-cinq minutes avant que Dom Juan ne nous quitte

Aller au cœur des scènes, en couper certaines.
J’aimerais tendre à une virtuosité sans numéro d’acteur, que l’on puisse suggérer les changements de personnages sans être dans une incarnation totale.
J’imagine quelque chose de fluide et délicat, de simple et versatile, en s’efforçant d’être au plus près des rapports, de la nécessité à se convaincre que l’autre est indispensable.
Croire ?
Deux chaises dans un carré tracé au sol. L’espace artisanal où le théâtre se construit sans autre effet que les arguments des situations à jouer, et du texte à faire entendre.
Le théâtre au présent d’une proximité avec les spectateurs délivrés du quatrième mur.
Être là, ensemble autour de l’énigme Dom Juan.

L'auteur

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, a marqué l’histoire du théâtre et de la comédie française. Auteur le plus joué encore à l’heure d’aujourd’hui, Molière s’est distingué par des pièces qui mêlent le comique, le pathétique et la critique. Il faisait du rire une arme pour combattre les mœurs et les contraintes de son époque.
Fils d’un tapissier, il renonce à reprendre l’affaire familiale qui le destinait à une vie bourgeoise et se tourne vers le théâtre. Il fonde en 1643 l’Illustre Théâtre et se fixe comme objectif de « faire rire les honnêtes gens ». Il rencontre cette année-là Madeleine Béjart dont il tombe amoureux.
La troupe connaît des débuts difficiles. Elle parcourt la province de 1646 à 1658. Durant cette période, il apprend le métier d’acteur et commence à écrire ses premières comédies (L’Étourdi et Le Dépit amoureux). En 1658, il joue Le Docteur amoureux devant le roi Louis XIV et gagne sa protection. Le roi installe la troupe au Théâtre du Petit-Bourbon. Molière écrit Les Précieuses ridicules en 1659. Cette satire burlesque est le premier de ses grands succès. En 1662, Molière épouse Armande Béjart, pour certains la sœur de Madeleine et pour d’autres sa fille, dont il aura un fils.

Comédien, chef de troupe et auteur, il écrit des rôles sur mesure pour les membres de sa troupe. Même si Molière crée des pièces mi-farce mi-critique de la société, il conserve le soutien du roi. Il reçoit même une pension du souverain, ce qui attise la jalousie de ses ennemis. L’École des femmes, La Critique de l’École des femmes, Tartuffe qui pointe du doigt l’hypocrisie religieuse et qui fut interdite de représentation pendant 5 ans, et Dom Juan le hissent au rang du plus grand artiste de son époque. Sa collaboration avec Lully se traduit par l’apparition d’un nouveau genre, la comédie-ballet. Sa troupe est nommée en 1665 « la Troupe du Roy ».

Molière tombe malade en 1666. Gravement affaibli, il parvient néanmoins à écrire deux pièces, Le Médecin malgré lui et Le Misanthrope. Il tente de relancer Tartuffe sous un autre nom mais la pièce est de nouveau interdite. Il faut attendre 1669 pour qu’elle soit jouée et acclamée par le public.
Après Amphitryon et L’Avare, Molière signe sa dernière pièce, Le Malade imaginaire. Au cours de sa quatrième représentation, il tombe sur scène et meurt quelques heures plus tard le 17 février 1673. N’ayant pas abjuré sa profession de comédien (jugée immorale par l’Église), il échappe de justesse à la fosse commune sur l’intervention du roi. Les comédiens de Molière fondent sept ans après sa mort la Comédie-Française.