de Pauline Sales et d'après Georg Büchner
Synopsis
Pourquoi ce Diptyque > Désertion / Woyzeck ?
Pour cette nouvelle création, l'équipe de Machine Théâtre souhaite laisser s'épanouir deux univers différents.
À Machine Théâtre la diversité d'opinion est une force, et nous souhaitons affirmer cela en menant un projet, mêlant deux façons d'appréhender le théâtre...
Peut-être pour mettre en évidence que ce qui compte n'est pas la manière de créer, mais la restitution à un public d'une envie commune de faire du théâtre.
La pensée et l'envie n'étant jamais univoque, Machine Théâtre décide de partir dans deux registres distincts avec les pièces : Désertion de Pauline Sales et Woyzeck de Georg Büchner rassemblées au cours d'une même soirée.
Malgré leurs dissemblances, telle que l'époque à laquelle elles furent écrites (Désertion est un texte contemporain écrit en 2004 et Woyzeck, une pièce inachevée datant du début du 19ème siècle) ; ces textes ont en commun l'utilisation comme cadre narratif d'un univers du quotidien, des « petits événements ». En marge de la grande histoire des nations, c'est ici de l'histoire des individus dont il est question. Dans ces deux textes s'exprime une violence sourde qui pousse les individus à poser la question de leur identité.
Désertion
L'histoire se déroule de nos jours, dans une maison de campagne quelque part entre ici et ailleurs...
Deux hommes cohabitent sous ce toit, « l'un » et « l'autre ».
Il est très vite clair qu'ils se connaissent, qu'ils sont amis proches, et pourtant une tension certaine règne entre ces deux hommes, ces deux déserteurs...
Il semblerait qu'ils sont là depuis la nuit des temps, eux-mêmes ne le savent pas, ou plus.
Pourquoi sont-ils ici, loin de tout, dans cette solitude à deux ?
Peut-être parce qu'ils ont déserté leur foyer respectif, leur femme et leurs enfants, fatigués et épuisés par leurs responsabilités sociales et familiales, pour se désintoxiquer de cette machine socio-affective qui les broyait jour après jour, les privant de leurs rêves, de leur tranquillité.
Mais quelle est la frontière entre cette quête spirituelle et la fuite ?
Et ne reproduisent-ils pas ce qu'ils ont fuit ?
À chaque heure de la journée correspond un petit rituel, une petite habitude qui pourrait faire de ce couple d'amis un couple d'amants, avec ses jalousies, ses inquiétudes... Surtout quand un jeune déserteur de l'armée se retrouve étendu dans la grange attenante à la maison.
Ce jeune homme, retrouvé inanimé au bord de la route avec comme seul bagage une valise remplie de couteaux, est beau, très beau, mais il ne sait pas parler correctement, il est bègue.
Il est le troisième déserteur qui va bousculer l'équilibre fragile des deux autres.
Woyzeck
Notre histoire est une adaptation du Woyzeck de Büchner. La version originale raconte l'itinéraire d'un soldat obligé de servir son capitaine, de se prêter à des expériences médicales et qui finit par tuer sa femme.
Notre histoire a lieu dans une sorte d'antichambre. C'est celle de nos consciences, de ce que nous pouvons imaginer d'un lieu entre la vie et la mort.
Un ange aux ailes noires fume dans un coin, tandis que Woyzeck traîne derrière lui une possible Marie.
C'est le début d'une histoire qui semble pouvoir se dérouler à l'infini. Celle d'un homme qui, fragilisé par sa déroute mentale, humilié par la trahison publique de sa femme, devient un assassin.
Mais dans cette histoire, le crime est sans conséquence, l'obsession de Woyzeck se répète comme un manège où les mêmes figures montent et descendent. Le manège tourne et Woyzeck s'engouffre de plus en plus dans ce qui sera sa propre disparition, son dernier esseulement.
Marie est là comme si elle attendait sa mort. Son désir pour le Tambour Major est la dernière façon d'y échapper.
Deux figures regardent Woyzeck tomber et l'accompagnent dans sa chute : un homme quasi ange et une femme quasi fatale, ultime figure du pouvoir médical et de la bienséance morale. Mais dans cet univers, la morale est un appel vide, la médecine un prétexte à utiliser l'homme comme chose.
Note de mise scène
Désertion
Désertion, c'est une quête, une quête spirituelle mais aussi une quête d'identité pour trois hommes en perte de repères.
Tant pour « l'un » et « l'autre », traversant la crise de la cinquantaine que pour le jeune déserteur trouvé au bord d'un chemin. Cette aventure étrange et ambiguë ne peut être que douloureuse et salutaire.
Déserter, c'est aussi renaître dans un autre corps, c'est plonger dans les abîmes de l'être pour retrouver l'essentiel, le secret qui peut rendre l'homme à la vie.
« L'un » et « l'autre » sont dans des problématiques liées à leur classe sociale, se sont probablement d'anciens patrons, des hommes de pouvoir ; mais loin de tout, seuls, abandonnés à la nature, que reste-t-il, comment se défaire du superflu pour se réconcilier avec soi-même ?
La pièce de Pauline Sales est un jeu de dupe, où chacun devient le miroir de l'autre, miroir déformant, violent, qui révèle les secrets les plus enfouis.
L'espace de jeu sera simple et dépouillée, laissant la place au jeu d'acteur et à l'humain.
C'est un huis clos, le terrain de jeu est une terrasse, au milieu de nulle part...
Un fauteuil, un portemanteau et un escalier à l'issue incertaine... reste des corps, des pensées errants, dans cet univers intemporel, aussi mystérieux que les désirs secrets qui animent les protagonistes.
Laurent Dupuy
Woyzeck
La mise en scène est pour moi un travail plastique du plateau de théâtre. Il n'y a pas de décor mais des éléments de décor qui agissent comme des signes. C'est un rapport physique à l'espace dans lequel les volumes, les objets, les lumières, produisent le sens de la représentation au même titre que le texte. Tout ce qui participe de la représentation en dehors du texte n'est pas ce qui passe après le texte et demeure à son service. C'est au contraire une matière égale à celle du texte. Dans cette démarche, les corps des acteurs sont « dramaturgiques » au sens même où l'espace qu'ils occupent est aussi dramaturgie. C'est-à-dire qu'ils appartiennent à la composition théâtrale au même titre que l'espace.
Si la dramaturgie est comprise comme « art de la composition théâtrale », ce qui pour moi rentre dans cette composition ne peut concerner la seule matière textuelle.
C'est parce que c'est cette démarche qui m'intéresse au théâtre que j'ai voulu, pour le projet de Woyzeck, travailler avec un dramaturge qui puisse nous aider à imaginer l'histoire que nous raconterions à mesure que le travail avec les acteurs sur la pièce ouvrirait du sens.
Dans ce travail avec les acteurs, il ne s'agit pas d'interpréter un rôle et de jouer des scènes dont le sens a déjà été dégagé, analysé, justifié. Il s'agit plutôt d'improviser à partir de situations contenues dans le texte, d'ébaucher des pistes pour rendre « vivantes » les figures que les acteurs auront à incarner. Ce travail ne peut fonctionner qu'avec le doute vécu comme chance pour imaginer hors des idées reçues, hors de ce que nous croyons devoir être la réalité, hors du sens pontifiant des explications de texte
Avec le dramaturge, nous avons élaboré trois fables avant de commencer le travail avec les acteurs.
Pour cela nous nous sommes servis de textes qui avaient pour rôle de nous inciter à penser autour du texte de Büchner. Ceci de manière à y revenir par la suite et à y entendre des résonances imperceptibles à la première lecture.
En tant qu'auteur de théâtre, Royds Fuentes-Imbert a écrit des textes pour notre histoire. En tant que dramaturge, il nous a proposé des textes d'autres auteurs en fonction des manques ressentis dans le déroulement de l'histoire.
Nos recherches ont abouti à ceci :
Nous avons choisi de mettre au centre du dispositif narratif le meurtre de Marie par Woyzeck. Nous nous sommes imaginés que ce meurtre devait se répéter comme une sorte de fatalité. De manière à mettre à nu la mécanique macabre et par conséquent le délire dans lequel Woyzeck se trouve enfermé. Mais il n'est pas le seul à y être enfermé, les autres figures de la pièce le sont aussi. Tout se passe un peu comme si la nuit du meurtre de Marie, Woyzeck avait la possibilité de revivre sa vie, et qu'il ne pouvait s'empêcher de tourner en rond.
Entre la négation de ses instincts par les figures du pouvoir et le dernier surgissement de ceux-ci dans l'élan qui le pousse à tuer Marie, un homme est mort.
Il ne s'agit pas pour nous de trouver une signification au geste de Woyzeck, de le justifier ou de l'accuser.
Il s'agit d'inventer un monde capable de donner réellement à voir et à entendre, et par là à penser.
Parce que je crois qu'il y a des images, des paroles, que nous ne pouvons voir et entendre que dans un contexte particulier. C'est ce contexte, qui dépend de la « composition théâtrale » du plateau de théâtre, que je cherche à rendre vivant. Parce que je ne crois pas que sentir soit le contraire de penser. Nous pensons comme nous sentons et une nouvelle façon de penser peut nous faire sentir différemment.
Mais comment donner à voir quelque chose à quelqu'un ? Pour moi, cela passe par l'imagination d'un univers théâtral qui, parce qu'il y rôde des énigmes, peut préserver notre capacité à découvrir ce que nos habitudes contribuent à recouvrir. Ou pour mieux dire : à la manière d'un tableau qui, par le réagencement du monde qu'il organise, nous dévoile une partie de monde peut-être oubliée.
En ce sens la mise en scène a pour rôle de diriger, avec les acteurs et le reste de la matière théâtrale, l'attention du spectateur. Pour moi le respect du spectateur est là et non dans le fait de décider à sa place ce qu'il peut comprendre ou pas. Donner à voir quelque chose de suffisamment fascinant pour que le spectateur s'y intéresse et puisse redécouvrir quelque chose de son propre monde. Bref donner à voir revient à mettre debout du vivant et espérer qu'il rende vivant !
Céline Massol
L'auteur
Pauline Sales
Pauline Sales est née en 1969. Elle est comédienne et auteure.
Sa première pièce Dépannage est créée au festival de Blayes dans une mise en scène de Laurent Laffargue. Invitée au Royal Court l'été 2000, elle écrit une pièce courte, Il aurait suffi que tu sois mon frère, qui est représentée à Londres. Après La Bosse et Cake, sa pièce Le Groenland, commande du Bottom Théâtre, est créée dans une mise en scène de Marie-Pierre Bésanger et interprétée par l'auteure.
Depuis octobre 2002, elle est auteure associée dramaturge à la Comédie de Valence et écrit L'infusion, mise en scène par Richard Brunel, et Désertion, mise en scène par Philippe Delaigue, deux pièces de commande pour les comédiens de la troupe permanente de la Comédie de Valence. Ses pièces sont éditées aux Éditions Les Solitaires intempestifs et la plupart sont traduites en allemand et en anglais.
Georg Büchner
Si Georg Büchner, dramaturge allemand (1813-1836), est mort prématurément du typhus, son œuvre, elle, a traversé les siècles et reste source d'inspiration pour de nombreux metteurs en scène ou compositeurs contemporains. Philosophe, professeur de médecine, épris de liberté ayant participé à des mouvements révolutionnaires, il a aussi écrit avant l'âge de vingt-trois ans, trois chefs-d’œuvre : La Mort de Danton, Léonce et Léna, et Woyzeck. Les pièces de Georg Büchner, mêlant réalisme et onirisme, portent l'obsession de la mort et de la sexualité ; elles annoncent ainsi l'expressionnisme allemand et le surréalisme.